P'tite
Chronique BD 5
Où il est question de l’Obscurité
et de ses Cités…
et de ses Cités…
Les Cités obscures sont nées de l’imagination du scénariste Benoît Peeters et du
dessinateur François Schuiten. Tous deux se connaissent depuis l’enfance et
inaugurent le cycle avec "Les Murailles de Samaris", qui est publié
par Casterman en 1983.
C’est dans un univers parallèle au notre que se déroulent ces
histoires fantastiques, dont l’ensemble (une douzaine d’albums et autant de
hors-séries) propose une œuvre d’une cohérence et d’une complexité inégalée en
bande dessinée à ce jour.
En fait, la planète (sorte d’anti-terre) sur laquelle sont
implantés ces Cités se situe sur l’axe du soleil à l’opposé exact de notre Terre,
des portes permettent de passer de l’une à l’autre mais néanmoins très peu de
personnes sont aptes à les franchir, ne trouve-t-on pas la maison de l’architecte
Paul Cauchie, pourtant sise à Bruxelles, dans la ville de Mylos ?
(L’archiviste)…
Mais est-ce notre monde qu’ils trouvent ou un
monde onirique, comme Giovanni Battista dans "La Tour", passant
d’un monde en noir et blanc à un monde en couleurs ou d'un univers photographique à un monde dessiné, comme Augustin Desombres dans "L'enfant penchée".
Les cités imprègnent les hommes qui les habitent, façonnent leur
mode de pensées tout autant que l’esprit de leurs créateurs habite ces cités.
Elles ressemblent à la structure que pouvaient avoir celles de l’antiquité
grecque, (ce sont des villes-états) ; en dehors d’elles pas ou très peu de
vie, de travail, de communications…
Chaque album apporte une connaissance approfondie d’une ville au
travers de vies contrariées de personnages y vivant et pour qui la perception
de la réalité est altérée, comme Eugen Robick l’urbatecte témoin de l’expansion
du Cube puis du réseau de "La Fièvre d’Urbicande" ou Franz, de
retour de mission de Samaris, qui ne reconnaît plus la ville dans laquelle il a
vécu.
Les villes sont traitées comme les hommes qui les habitent,
elles sont bien plus qu’un décor - même Samaris, où tout n’est qu’apparence -.
Elles existent. Omniprésentes, elles sont le cœur de l’histoire et un album
entier ne permet pas d’en établir le portrait… Les Cités obscures sont des
puzzles proches d’un univers Kafkaïen, au dessein jamais simple, et comme K.,
l’Arpenteur du «Château», les héros des Cités Obscures n’atteignent
pas leurs buts et les auteurs eux-mêmes se plaisent à brouiller les pistes.
Albert Chamisseau, agent d’assurance carnassier ne supporte plus
son ombre devenue colorée et retrouve l’équilibre et sa véritable ombre quand
il devient artiste de théâtre d’ombre...
Les albums évoluent aussi, puisque la fin des "Murailles
de Samaris" a été modifiée lors d’une réimpression et que
"L’Archiviste" en passant du format A3 au format A4 a vu son nombre
de pages augmenter entre 1987 et 2000.
Il n’y a pas une morale, à proprement parler, à tirer de chaque
album mais de multiples questions que l’on peut se poser, qui peuvent renvoyer
à notre propre vie ou à la perception de notre environnement, des Autres, de la
normalité ou de l’anormalité.
Acceptons-nous cette anormalité, telle une ombre colorée, ou
Mary Von Rathen attirée par l’attraction d’une planète occulte, qui penche
irrépressiblement, comme Michaël Jackson dans "Smooth Criminal", une
toux irrépressible (Constant Abeels dans Brüsel) et comment les héros vont-ils
se transcender, survivre ?
Peut-être les cités Obscures ne sont que la parabole de la quête
de l’autre, celui qui nous complète, celui qui manque aux personnages pour
(re)trouver leur équilibre.
© http://www.bedetheque.com |
Sources :
Graphiquement, les références sont multiples à l’intérieur de
chaque album et renvoient à l’architecture de Piranèse pour "La
tour", à Etienne–Louis Boulée, Jean-Antoine Alavoine pour son éléphant de
la Bastille repris dans "Les Mystères de Pâhry", Horta pour son
architecture intérieure… Antonio Sant'Elia, Auguste Perret pour l’architecture ou Léon
Benett, illustrateur de Jules Vernes pour le canon extrait des "Cinq cents millions de la Begum" de la page 56 de la Fièvre d’Urbicande, l’architecte
Auguste Perret pour Brüssel (il est belge lui aussi).
Le design des véhicules évoque Raymond Loewy ou Robida ou les
illustrateurs américains du début du XXe siècle… Tout comme la tour de Babel de
Bruegel aura pu inspirer François Schuiten pour "La Tour" à la fin du chapitre 3.
La maquette gigantesque de "Brüsel" nous renvoie aussi à la création des décors du film
"Métropolis" de Fritz Lang, où hommes et maquettes d’immeubles se côtoient…
Toutes ces sources, ces influences ne sont pas gratuites, elles
donnent l’aspect formel de chaque lieu, en renforçant l’impression d’unité ou
la disparité…
L’abord des personnages de François Schuiten ne renvoie pas à la
"Ligne Claire" (c’est uniquement le contour dessiné d’une forme qui
la détermine) chère à l’Ecole Belge mais au travail de gravure d’Albrecht
Dürer, au dessin de Franklin Booth.
Le relief des visages, des corps, des bâtiments est révélé par
des lignes parallèles plus ou moins espacées ou entrecroisées. Si au début de
sa carrière, les personnages semblaient figés, traités avec une rigueur extrême,
Schuiten su les assouplir petit à petit par un modelé bien plus subtil, et a rapidement réussi à dégager des personnages féminins
beaucoup de sensualité.
La série compte aujourd'hui une douzaine d'albums, tous publiés
aux éditions Casterman, et traduits dans une dizaine de langues.
1 « Les Murailles de Samaris »
en septembre 1983
Pour Benoît Peeters : "la question de la série a été évoquée fin 1982, en finissant "Les Murailles". Lorsque "La Fièvre" commence à paraître dans le magazine "A suivre", le projet est assez clair".
"Mais nous n'imaginions pas un instant qu'il nous occuperait si longtemps".
2 « La Fièvre d'Urbicande » en janvier
1985
3 « La Tour » en avril 1987
4 « La Route d'Armilia » en avril 1988
5 « Brüsel » en août 1992
6 « L'Enfant penchée » en
janvier 1996
7 « L'Ombre d'un homme » en
mars 1999
La video "Naissance d'une Planche", à la fin de cette chronique,
évoque la création de la planche 14 de cet album.
8 « La Frontière invisible » t.
1, en avril 2002 et t. 2, en avril 2004 regroupés aussi sous un seul tome.
9 « La Théorie du grain de sable » t. 1, en août 2007 et t. 2, en septembre 2008
10 « Souvenirs de l’éternel
présent »
Les couvertures capturées
sur les sites www.bedetheque.com et http://bd.casterman.com
Ces albums de BD sont
complétés par des Hors-séries de formats et de formes différentes, A3 par exemple
pour "l’Echo des Cités", avec un DVD pour "L’Affaire
Desombres"…
Tels :
Le Mystère d'Urbicande,
Tels :
Le Mystère d'Urbicande,
L'Archiviste,
Le Musée A. Desombres,
Souvenirs de l'Éternel présent
L'Écho des Cités,
L'Écho des Cités,
Mary la penchée,
Le Guide des Cités,
Voyages en Utopie,
L'étrange cas du docteur Abraham,
L'Affaire Desombres,
Les Portes du Possible...
Ils assombrissent ou éclaircissent (mais complexifient en
tous cas) la temporalité et la géographie des personnages et des Cités et
explorent d’autres systèmes de narration, comme "l’Echo des cités" dans
lequel fausses unes, articles, et photos se mêlent…
Le puzzle ainsi créé
par les auteurs acquérant une troisième dimension. Après le temps, l’espace, il
y aurait donc le support et la technique. Puisque certains albums sont
uniquement en noir et blanc, d’autres en couleurs, d’autres mélangent les deux,
le dessin et la photographie, le dessin et l’illustration… La chronologie,
elle-même est très disparate, puisque "l’enfant penchée" se déroule
747 ans après "La Tour".
C'est un travail brillant qu'ont réalisé les deux amis qui se développe encore et dont on découvre toujours les ramifications…
© www.altaplana.be |
Est-ce que le futur album "Revoir Paris" non lié aux "Cités", hommages aux auteurs futuristes du début du XXe siècle, tels Robida, prévu pour novembre prochain (lié à l'exposition présentée de novembre 2014 à mars 2015) ne servira-t-il pas de terreau à un futur album des "Cités" ?
Biographie sélective des auteurs
© http://www.lesimpressionsnouvelles.com |
Benoît Peeters né le 28 août 1956 à Paris.
Après de brillantes études et une licence de
philosophie à la Sorbonne (Université de Paris I), il a préparé le diplôme de
l’École pratique des hautes études sous la direction de Roland Barthes. Il est
titulaire d’une habilitation à diriger des recherches (HDR).
Auteur de romans :
"Omnibus" biographie imaginaire de
l’écrivain Claude Simon, 1976. Editions de Minuit.
"La Bibliothèque de Villers" hommage à
Jorge Luis Borges et Agatha Christie, 1980. Robert Laffont.
Spécialiste de l'univers d’Hergé et de Tintin :
"Hergé, fils de Tintin", une
biographie passionnante et complète d’Hergé et "Le Monde d’Hergé",
"Lire Tintin", "Les Bijoux ravis, une lecture moderne de
Tintin".
Scénariste pour d’autres dessinateurs :
Frédéric Boilet, Anne Baltus pour
"Dolorès", et "Calypso" et Alain Goffin, et la
photographe Marie-Françoise Plissart.
Auteur de plusieurs essais sur la bande dessinée, le
scénario, le storyboard et l'écriture en collaboration, mais aussi sur Paul
Valéry‚ Alfred Hitchcock, Töpffer, Nadar, Victor Horta, Jirô Taniguchi et Chris
Ware.
En 2010, Benoît Peeters a publié la première
biographie du philosophe Jacques Derrida et en 2014 publie "Valery. Tenter de vivre", un portrait synthétique du poète Paul Valery.
Benoît Peeters a collaboré avec le cinéaste Raoul Ruiz
pour le film "La Chouette aveugle" et le livre "Le Transpatagonien".
Il a réalisé plusieurs courts métrages, de nombreux documentaires, dont la
série "Comix" pour Arte et l’INA, un moyen métrage (L’Affaire Desombres), un long
métrage, Le Dernier Plan, et de grands entretiens filmés avec Alain Robbe-Grillet.
Conseiller éditorial chez Casterman, il est aussi le
directeur d'une maison d'édition indépendante, "Les Impressions Nouvelles"
et dispense des cours en tant que maître de conférence au sein du Département
des arts et sciences de la communication de l'Université de Liège.
En février 2013, François Schuiten et Benoît Peeters
ont reçu le Grand Prix manga au Japan Media Arts Festival ; c'est la
première fois que ce prix était décerné à des auteurs étrangers.
© http://actualitte.com |
François Schuiten :
Fils
de Robert Schuiten, architecte à Bruxelles dans les
années 1950-1960, François Schuiten, est né en 1956 et publie sa première
histoire dans l’édition belge de Pilote à l’âge de 16 ans.
A l'atelier bande dessinée de
l'Institut Saint-Luc, il rencontre Claude Renard avec qui il réalisera deux
albums : "Aux médianes de
Cymbiola" et "Le
Rail", regroupés sous le titre "Métamorphoses" paru chez Casterman.
Avec son frère Luc, il élabore au fil
des ans le cycle des "Terres
creuses" dans Métal Hurlant. Trois albums sont parus à ce
jour : "Carapaces", "Zara"
et "Nogegon".
Depuis 1982, il se consacre avec son ami d'enfance, le
scénariste Benoît Peeters, à la série "Les Cités obscures".
Ces albums ont été traduits dans une dizaine de langues et
ont obtenu de nombreuses récompenses.
Cette année, Benoît Peeters et François Schuitten ont fait don des planches originales de quatre albums des Cités Obscures, à la BNF.
Une exposition à la Galerie des donateurs leur a été consacrée du 6 mai au 15 juin 2014.
Une passionnante video était présentée à cette occasion, illustrant à merveille le processus créatif des deux auteurs.
Watch Naissance d'une Planche in People & Blogs | View More Free Videos Online at Veoh.com
Merci à Benoît Peeters pour m'avoir transmis le lien ;)
Une passionnante video était présentée à cette occasion, illustrant à merveille le processus créatif des deux auteurs.
Watch Naissance d'une Planche in People & Blogs | View More Free Videos Online at Veoh.com
Merci à Benoît Peeters pour m'avoir transmis le lien ;)
Liens
Bien entendu, toute contribution à cette chronique sera la bienvenue ;)
Alain
Actualisée le 30 juin 2014
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