lundi 22 septembre 2014

Benoît Peeters. Conférence au Musée Paul Valéry. Sète. Le 21 septembre 2014.



Pourquoi suis-je venu ? 
Je n’ai jamais lu un poème de Paul Valéry. J’ai regardé sa biographie sur Wikipedia avant de partir et je me souviens seulement des mots de Brassens :
« Et qu'au moins si ses vers valent mieux que les miens
Mon cimetière soit plus marin que le sien».

Voilà. Près de cinquante de personnes d’une cinquantaine d’années se trouvent dans cet écrin de rocaille et de verdure qu’est le jardin à l’arrière du musée Paul Valéry transformé en espace de conférence à ciel ouvert. J’écoute les conversations. 
Près de Benoît Peeters, au premier rang, les spécialistes. Je reconnais avec plaisir Alain Rey, mais je n’ose l’aborder et que lui dire ? « Votre intelligence, votre pertinence et votre culture manquent à la radio ? »  le jour où tous les journalistes ne parlent que du retour médiatique de l’ancien président bling-bling.

Benoît Peeters a fini de  mettre de l’ordre dans ses feuilles. 
Sa voix est claire et sort, cristalline, amplifiée par les hauts parleurs. Quelques chants d’oiseau, lointains se mêlent à la conférence.
Dès le début, je crains le débat de haut niveau, référencé. Pour initiés. Ceux qui peuvent détecter les influences, se quereller pour un mot, un adverbe, une phrase à extraire du contexte, une date à enchâsser dans l’histoire... Mes lacunes sont criardes, je les affirme ce matin comme elles me sont apparues hier. Mallarmé, Borges, Artaud, Pierre Louÿs me sont étrangers. Je n’ai jamais eu d’élan pour me pousser à investir leur champ créatif. Autour de moi, ce n’est pas le cas. Une formule comme "la réussite par le désespoir" fait opiner du chef certaines têtes grises devant la scène et "un Artaud qui aurait bien tourné" sourire sur mon côté droit. 
J’aurais dû sortir mes crayons, chercher à dessiner ces looks étudiés, ces tenues impeccablement bohèmes. Pourtant mon stylo continue de courir sur le papier. Je note. Sans réfléchir, je suis scribe, machinal. Benoît Peeters enchaine "Comment répondre à ce qui ne vous dit rien ? Valéry procède à un inlassable effort de redéfinition. Il se fait son propre dictionnaire". Et puis, ces problématiques "Comment transformer son propre désir en désir de l’autre ? Comment faire naître le désir de l’autre en soi ?" Et puis, "1897. La distance se crée avec ses amis. Il s’est éloigné du monde des lettres. La vie est le chemin qu’il  n’a pas pris. Le désir s’est évanoui. Il manque de foi en la littérature." Et puis, encore : "Valéry se tient à l’écart des gens pouvant lui apporter la gloire". Catherine Pozzi  le traite de domestique et de nullités les gens qui représentent ses amis". Gaston Gallimard le traite de grand raté.  
Benoît Peeters a su au fil de la lecture de ses propres notes, en faire un personnage. Il existe maintenant, pour moi, un Paul Valéry ambigu, imparfait, doutant de lui, recyclant comme le soulignait le Crapouillot, ses propres textes, ses idées… "Il rend spectaculaire son refus du spectaculaire", dit-il Ce ne sont pas que des mots. 
C’est passionnant.
"En amour, il a construit une muraille autour de lui qu’une brèche a suffi à détruire". Pendant l’intervention de Salah Stété, très –trop- précise, je me suis envolé sur "les Murailles de Samaris" et la postface où Benoît Peeters évoque sa relation avec François Schuiten et le fait qu’ils travaillaient dans un enthousiasme commun. 
Une pensée fugace pour Albert Chamisso, dans "l’Ombre d’un Homme", l’homme que sa femme rejette quand son ombre prend couleur et forme. quelle est la part autobiographique que Benoît Peeters a pu instiller dans ce personnage puisque, j’en suis convaincu, c’est lui-même qui a servi de modèle à François Schuiten tout au moins quand il n’a plus ni moustache, ni bouc, ni barbe… Benoît Peeters, qui, sur sa page Facebook a placé à côté de son nom un patchwork de photos de Derrida ainsi que son livre sur Valéry. 
"Celui qui construit un auteur à partir de son œuvre construit une personnage qui lui est étranger". Quelle est sa propre part dans ses personnages ? Travaille-t-il toujours avec enthousiasme ? toujours des questions.

Je reprends pied à Sète.



Après l’intervention de Salah Stété et la réponse de Benoît Peeters, c’est Alain Rey qui s’exprime. Je l’écoute avec plaisir. Il intervient avec pertinence sur la façon dont Proust, Céline et Valéry ont fait bouger la langue française… en ne bougeant pas dit-il en parlant de Valéry…

Applaudissements.

A côté de moi, un auteur invité, visiblement inquiet, demande à l’organisatrice si sa photo sera bien dans le programme de l’an prochain. Benoît Peeters parle avec Michel Jarrety et semble angoissé par son retour et l’horaire de son train, il est nerveux, absent. Il quitte l’arrière du Musée.

Une dame, psychothérapeute ou pédopsychiatre je ne sais plus, le remercie car en lisant son livre et en écoutant sa conférence elle se sent poussée vers l’écriture... Il lui répond avec gentillesse. Consulte encore sa montre. Je parle avec lui, très peu de temps en fait. Je suis arrivé trop tard pour pouvoir discuter des "Cités Obscures" et de mes interrogations récentes, comme était mon intention où de mes projets.

J’ai regardé tellement de fois, comme sidéré ou fasciné, mes limites d’en bas que j’ai envie de rechercher le meilleur de moi, de mon travail, de mes pensées, comme à 15 ans, quand le monde était à prendre. Pour tenter d’exister. Les hypocrites se sont révélés et leur influence s’est tue. Il ne reste que la tentation de vivre. Et ma tentative actuelle.



La conférence de Benoît Peeters donne envie de lire son livre "Valéry. Tenter de vivre" pour essayer de reconstituer "une œuvre éparse, sans chef-d’œuvre apparent, à recomposer, à inventer" et de chercher un homme qui a dit "oui" trop souvent et qui selon ses propres dires, "écrit par faiblesse" mais un homme dont Rilke disait ou écrivait que "toute son ouvre l'attendait".


Benoît Peeters, "Valéry. Tenter de vivre".
Flammarion, collection Tandem, 400 pages.


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